Lumière Lente

 

Il y a des enfants qui, systématiquement, démontent leur jouet
pour en comprendre la mécanique interne,  en percer le mystère, si 
mystère il y a. De quoi est-il donc fait que je ne puisse voir ?


Qu’importe si sa façon de procéder s’inscrit dans cette histoire, il me plaît de le croire tant il est clair que pour Myriam Mechita la connaissance passe par là : démonter, retrouver le noyau dur, l’élément premier à partir duquel tout s’est construit ou sur lequel tout repose. La première pierre ou la clef de voûte.

Si dans la peinture hollandaise l’accumulation d’objets à l’image vaut pour leur valeur d’usage, chez Myriam Mechita chaque pierre de l’édifice prend la valeur d’un objet en soi et vaut pour la circulation possible de l’une à l’autre, pour affirmer la mécanique et le travail qui fait exister la construction. Pas de magie, juste des changements d’échelle du détail à une vue d’ensemble et si magie il y a, c’est dans la perception et le désir d’illusion du regardeur qu’elle est sise.

Ses dessins ne sont conçus qu’avec l’idée qu’ils sont constitués de traits discontinus, ses tapisseries de milliers de paillettes brodées patiemment une à une et ses sculptures de perles incrustées. Masse et matière sont à chaque fois ramenées à l’unité dupliquée qui les forme. Cette manière de rendre visible chaque particule et, avec elle, chaque geste nécessaire à son articulation avec la suivante accentue l’évidence des formes proposées, en général premières à défaut d’être primaires, et leur force brutale.

Elle met d’ailleurs souvent en présence des forces: combat d’animaux (qui veut la paix prépare la guerre,2004); rayon laser nécessitant la présence du brouillard pour que soit visible la forme dessinée par ce dernier (qui veut la fonction crée l’organe, 2004); ombre et lumière quand elle dessine un crâne par ses zones d’ombre (australopithèque, 2002), soit par ce qui ne se voit pas. Le visible ne se donne jamais immédiatement, il faut ajuster son regard entre la partie et le tout. Cet exercice de la vision mettant en scène le point de vue est particulièrement présent dans qui veut la paix prépare la guerre. Un maillage de poutres y construisant une estrade évide une forme dont le contour est souligné par l’emploi de peinture fluorescente rouge mais ce qu’elle dessine reste indéterminé. Si l’on gravit les marches de cette scène, la forme n’en est pas plus identifiable pour autant et l’effort d’accuité, nécessaire pour affronter l’obscurité et le danger de pas incertains, rend encore plus difficile une lecture de l’ensemble, préoccupés que nous sommes à mettre un pied devant l’autre. Il faut la surplomber pour que le combat d’un lion et un buffle apparaisse distinctement. 

Reste que le geste est rarement fluide ou alors de manière contradictoire, que l’iconographie ainsi que la pratique même de Myriam Mechita font toujours état d’une indépassable violence à l’œuvre.  Un état d’irrésolution contre lequel nous sommes comme voués à butter, avec nos pieds sur un sol incertain ou nos yeux sur une surface accidentée. Ces multiples entraves pointent la dissociation du corps et de l’esprit et une vaine tentative de les reconcilier.

Des activités comme broder ou assembler des perles qui peuvent être associées à une certaine paresse, un geste modeste et sans fin qui se fait sans même y penser, prennent une toute autre charge dans les oeuvres de Myriam Mechita. Tout d’abord et parce qu’il y a le désir d’en finir avec l’ouvrage, soit d’achever cette tâche minutieuse -voire ennuyeuse-, on y perçoit distinctement leur attachement au temps et à l’effort. L’ouvrage ne se fait pas naturellement comme l’arbre pousse et chaque point, chaque pixel en est la preuve laborieuse, la volonté affichée. Ensuite, ne pas pouvoir comprendre c’est aussi ne pas pouvoir rassembler ce qui est épars et achopper sur chaque partie qui lui donne forme. 

Myriam Mechita opère une bascule entre le poids des techniques de réalisation, laissant tout le processus de fabrication préhensible et visible, et l’aspect irradiant qui se dégage de l’ensemble dans la façon dont chaque œuvre opère une fusion avec la lumière. La lumière devient un élément constitutif de l’œuvre. Là où tout n’est que morcellement et division, elle apporte un geste fluide, une variable aussi fugitive qu’un souffle. C’est-à-dire que ses oeuvres sont faites pour interagir avec la lumière dans la mesure où chaque unité qui les constitue est faite pour capter la lumière et la réfléchir.Miroitements, scintillements, reflets ou luminescence sont la raison d’être des perles, des paillettes, de l’aluminium coulé puis polimiroir ou de la peinture fluorescente. 

L’éblouissement produit permet de passer du morcellement à la fusion, de l’assemblage et du collage au dessin. En effet, ses objets procèdent davantage de l’assemblage que de la sculpture et ses tapisseries ou surfaces peintes (je pense notamment au portrait de la mère et de la fille réalisé à la colle mêlée de paillettes au dos d’une table, le mérite ou la présence des siens, 2005) procède davantage du collage que de la peinture. 

La lumière devient le facteur d’homogénéité. Comme la peinture a besoin d’un liant pour obtenir le mélange du pigment, les oeuvres de Myriam Mechita ont besoin de la lumière pour ne faire qu’une. A travers ce passage du labeur à l’aura par la lumière le temps opère et chaque œuvre de Myriam Mechita, véritable travail de Pénélope, par son processus même évoque une fuite du temps, elle-même éprouvée par la finitude de l’objet présenté.  

Sandra Cattini
Juillet 2005